dimanche, février 04, 2007

Suinté d'un belle fierté,

Vendredi, ce 19 janvier 2007, Monsieur Eddy et moi étions reçus en audience sollicitée de notre part. Notre Tuteur d'il y a plus de cinquante ans, nous recevait, à Rosemère, dans la pièce dite des "agrappes" fraternelles.

Qu'il m'est étrange d'approcher ces saints lieux depuis mes belles heurettes de joueur de soccer sous les coups de sifflet de Rémi le Grand ou des « nouvelles de Radio-Canada de 7:45 h. à l'extérieur », du côté des scol. L'approche me titillait; j'avais comme un oiseau sur l'épaule. Quittant la voie « 640 » qui n'était que dessin d'urbaniste en ce temps, nous longions la rivière Aux Chiens pleine de souvenirs de pêche à la barbotes, de frissons loin de la gang, de découvertes buissonnières. J'y avais mon refuge un peu comme les merles au temps des cerises à grappes, dans la haie bordant le côté ouest des jardins en damier. Puis la montée Lesage maintenant très bordée de bungalows dont les plus anciens portent des noms dans la mémoire d'Eddy...

« Va lentement Eddy, c'est tout bon. » Tournant sur la rue Lefrançois (le Provincial bâtisseur), l'immense bâtiment en T de briques beiges se développe tel un zoom qui me donne l'image d'un grand oiseau étirant ses ailes. De sa butte, il plane un regard jusqu'à la rivière encore timidement visible. L'environ est maintenant d'un ordinaire urbain.

L'histoire s'est encore redessinée en ces lieux. Un immense coin de pays n'ayant que nature est défriché pour une implantation religieuse de type monacal à l'accueil amical. Le temps s'égrenant invite la ville. La vie urbaine modifie la vocation originelle. Un cas combien de fois répété.

Ce grand planeur beige a depuis étiré, de part et d'autre, son envergure pour répondre à la demande scolaire de l'Externat Sacré-Coeur. Le corps central n'a pas été modifié sinon, étêté d'un surpoids, il y a bien des années. La statue a voyagé avec les matériaux de démolition et revendue à une religion de Saint-Jovite. La ville a ajouté, en lieu et place de la piscine, un centre sportif assez grand pour y jouer au soccer intérieur. En voyant ce monument dédié au sports, j'ai eu une pensée pour Rémi qui a éveillé tant de sportifs...

La communauté fraternelle, locataire, vit dans ce qu'il était convenu d'appeler, la résidence des frères, l'infirmerie, l'arrière de la chapelle, la buanderie, la boutique de Karlo. Après hésitation, le doigt sur le piton, c'est Robert Danis, le vigilant de la petite communauté qui nous invite à entrer. Si vous avez connu Robert, vous vous souviendrez... Il n'a pas perdu son sourire facile, le menton un peu vers le haut, les yeux droit sur son interlocuteur. Le temps d'une poignée de mains, je me voyais en présence du portier de l'Abbaye de Saint-Benoît-du-Lac lui demandant une chambre pour la nuit. L'hospitalité y était et nous étions attendus. Un inconnu descendait prestement le fret escalier de terrazzo. Je ne le connaissais pas. C'était quelqu'un qui n'avait pas 88 ans... Dans un sans-gêne un peu acté, je le salue avec émerveillement « Non, Albert, je ne te reconnais pas. Je suis venu rendre visite à une personne qui frôle les 90 et l'auréole...»

Si on a parlé beaucoup, je ne m'en souviens pas. Il arrivait que tous parlaient ensemble. Une cacophonie qui traduisait une anxiété de se reconnaître, de disséquer l'inconnu que nous étions mutuellement devenus. Il y a eu des fractions de secondes de gêne causées par la dispersions de nos conversations. Est-ce cela l'excitation des retrouvailles de gens de notre âge?

« Attendez que je me souvienne. » Albert a suinté d'un belle fierté quand, dans un trop bref moment, il a parlé de ses années de bâtisseur en Côte-d'Ivoire. Que j'aurais aimé en savoir plus. Écoles, lieux de culte, et encore... sans autre préparation que la réflexion, la confiance en soi et en celle de d'autres (Je lui ai demandé des photos de là... Je reste sur l'impression que je devrai me remettre à la prière pour espérer combler ce désir!). 37 ans en négritude, mon frère! Il a été question des rochers sortis des talus de Chertsey dont un, au risque de la vie de Marie-Albert ensoutané... Des longues marches, boussole en main... De feu Michel Bourdon de la CSN, mon compagnon de droite au réfectoire et Ludovino à gauche! De la grippe de 1957 et du frère Florian jouant l'exorciste à temps plein, des « frais mensuels de pensionnat à 5$ »... Et que d'et caeterus. Les souvenirs tombaient à gros flocons sortant d'un nuage sans menaces.

Bébé Albert est un montréalais de naissance, 1919. Rue Adam. Une soeur, un frère. Un oncle est religieux, Frère du Sacré-Coeur. 14 novembre 1936, il connaît le Mont-Sacré-Coeur, tout neuf! L'an passé, Florian, Clément étaient passés au moment où la communauté soulignait sa soixante-dixième années de partage avec le divin. Il, 79 ans, est revenu d'Afrique en 1998, je crois. Mon petit doigt me dit que son entourage ne voulait plus le voir sur ce continent « au risque de sa vie ». Mon petit doigt n'a pas plus bavardé. Puis, ici, tous les matins de vie scolaire, 7:30 heures, il remplit les fonctions de magasinier crayons-papier-cartables à l'Externat. En pm, Albert n'a pas son âge; il est un PCman. Testez-le à albertcaisse@hotmail.com. Il apprécie particulièrement les *.pps; je suis sur sa liste d'envois... lalalalalère!!!

J'ai voulu revoir la chapelle et des ailleurs. Deux pas et les images mêlées venant de quatre ans d'adolescent à jeune homme jouent du coude dans ma folle souvenance. J'avançais encore; je serais resté seul un bon moment. Albert est demandé. Encore de la visite! L'audience prendra fin nous laissant sur notre faim.

J'ai salué Albert. Nos regards ont échangé. Il m'a répondu avec appui "Je suis heureux Jacques".

Ça m'inspire un beau sacre. "Christ, garde le nous encore de belles années en santé!"


Des images, un peu de musique et de mots.
Pour des images plein écran, cliquer sur le petit rectangle en bas, à droite de l'écran-vidéo.

1 Commentaire:

Florian Jutras a ?crit...

Quel savoureux et chaleureux reportage d'une visite au pays des souvenirs du coeur. Pourtant il n'y a pas si longtemps, nous étions tous là en communion et maintenant si différents. Albert est certainement l'emblème d'une époque ou de la fin d'une époque, son chant du cygne, la primauté des gestes et de l'engagement sur les arguties de notre pensée et sur les interminables remises en quesiton de mos valeurs

Même si peu de gens souhaitent ressusciter cette époque, il fait plaisir à beaucoup de se la remémorer, de vibrer comme à un vieux cantique aux émotions qu'elle a générées. C'est le destin de l'homme, toujours tendu vers demain et fier de ses hiers.

Il faudrait constituer une anthologie de notre passé qui a si vite disparu et qui risque de se perdre dans l'oubli.

Ta narration Jacques est une pièce à conserver. Il te faudrait encore creuser tes souvenris et nous livrer d'autre pièces de ce casse-tête qui sous les clics et tapes de ton clavier se révèle un merveilleux tableau.

Ton diaporama est aussi fascinant. Quelle maîtrise de l'ordi il aut pour réaliser un tel montage. Tu fais des envieux. J'en suis.

Florian