lundi, septembre 10, 2007

Identité divine vs identité civile



Ce 25 août 1945, sur le parquet de la grande allée de la chapelle du Mont-Sacré-Cœur à Granby sont étendus, inertes, couverts de noir, quarante-cinq corps de jeunes hommes coupés dans la fleur de l'âge. J’en fais partie.Le prêtre, portant un surplis en dentelles sur sa soutane noire, de son goupillon nous asperge d’eau bénite exactement comme il le fait régulièrement sur les dépouilles mortelles de chrétiens en partance pour le Grand Voyage. Puis, à coups réguliers d’encensoir il répand au-dessus de nos momies muettes l’encens fumant qui, s'élevant, nous introduira dans la société des célestes.

Par la vertu de l’eau baptismale, de mortels nous renaîtrons immortels, enfants de la terre des ténèbres, nous deviendrons des fils de lumière, parias et désoeuvrés, errant sur la place publique, nous sommes embauchés, toute compétence reconnue, ouvriers du Seigneur, marqués au sceau de l’identité divine.

Identité divine
Pendant un an, on nous apprendra le langage, les pensées, les attitudes et les obligations inhérentes à cette nouvelle identité. Par notre vœu de pauvreté nous devrons renoncer à la possession personnelle des biens matériels pour n’en garder que l’usufruit, « l’unicum necessarium », par la chasteté, coupant les liens terrestres, nous prendrons famille céleste, le vœu d’obéissance nous engagera à travailler à l’édification sur terre de la Cité de Dieu.

Déjà nous portons les signes de cette nouvelle identité. Comme à des roturiers promus on a changé et le nom et le titre d’identification : On devra désormais nous appeler «Révérend Frère » et non plus « Monsieur ».

Quelques jours avant cette métamorphose, nos têtes sont passées chez un coiffeur improvisé qui nous a appliqué la caractéristique coupe « rasibus » des moines.

Notre habit noir dira à tous que nous sommes morts à ce monde.

Les quatre rangs du cordon de laine noire qui ceint nos reins, ce sont les vertus théologales, nos cartes de compétence d’ouvriers de la vigne, le scapulaire signifiera notre protection (assurance) céleste, et le petit capuchon, bien que réduit pour des considérations pratiques, version d’œillère sur la bride d’un cheval, en assume la fonction : nous voiler les distractions terrestres et indiquer notre intention de garder le cap sur l’infini. (Alors que sur la Mer des Mots il convient d’avoir les yeux ouverts tout azimut. Autres lieux, autres moeurs)
C’est un tribunal ecclésiastique qui répondra de nous.

Un supérieur prendra pour nous les engagements appropriés, en déterminera la rémunération, la percevra et en disposera au service de la cause de Dieu.

Cette nouvelle identité, sacrée, ne fait aucun doute chez nos proches et est reconnue sans problème par la société québécoise. Dès le lendemain de la cérémonie, au parloir, mes frères et sœurs, d’abord médusés de silence, manifestent pour mon accoutrement et mon statut, une attention et peut-être une envie que je n’avais jamais connue d’eux.
Cinq ans plus tard, lors de mes dix jours de visite réglementaires dans la famille, je me sentirai chez moi comme un étranger. J'y vois pour la première fois les trois derniers de la famille arrivés après mon départ.

Je ne parle plus le même langage (je parle de « voiture » alors qu’ils parlent de « char ») et le matin au lieu d’aller tirer les vaches je vais à la messe…
À l’occasion de cette visite on s’est même cotisé pour m’offrir une montre de poche en or. Les Frères ne pouvaient alors porter une montre-bracelet parce que c’était jugé trop mondain pour des « religieux ».
Je fis pendant ces dix jours le tour de la famille. On était fier de me montrer comme un Saint Sacrement. Je ne savais quelle conversation tenir devant ces « mononcles » et ces « matantes » qui m’avaient vu en couches et en culotte courte, ni devant les cousins et surtout les cousines de mon âge. Une ambiguïté qui me torpillait les élans. Les dix jours passés j’étais heureux de retrouver mon monde « divin ».

Au Québec du temps, bien que les Frères aient été en divin, d’une coche inférieurs aux prêtres, on avait pour nous beaucoup de considération, ce qui accentuait notre sentiment d’être à part. On était en demande, Et toute la société, c’est du moins l’impression que j’avais alors, nous portait aux nues. Sans nous connaître on nous faisait confiance et on nous supposait toutes les compétences,… comme à Dieu.

Bref, être religieux au Québec avant les années 70 c’était faire partie d’une autre société, qu’on ne pouvait assimiler à la société civile. On avait beau nous dire et nous répéter que nous étions des citoyens à part entière, dans les faits notre discours se devait d’être « religiously correct » et on soupçonnait nos votes pipés par le supérieur.

S’accommoder entre identités différentes

Notre société d’appartenance principale, sans être incompatible à la civile n’en était pas assimilable. Cette situation n’était pas propre au Québec. Dans toutes les religions du monde et dans tous les temps de l’histoire de l’humanité, la consécration religieuse crée des êtres à part. C’est une question de nature. Il faut s’en accommoder.

Ces accommodements à travers les âges et selon les différentes concentrations religieuses ont pris toutes les couleurs du prisme. Dans la religion chrétienne, le côte-à-côte de l’humain et du divin est encore plus exigeant que dans d’autres religions à cause de l’incarnation. Le chrétien en effet n’est pas invité à quitter cette terre, lieu temporaire de son passage, mais à y bâtir la Cité de Dieu.

Pour faire une histoire courte, les chefs de l’Église ont d’abord compris leur vocation en termes de pouvoir. Il fallait assurer la suprématie du pouvoir religieux sur le pouvoir civil. Le pape sacrait les rois. Cet accommodement de subordination a été accepté tant bien que mal, de part et d’autre, de Constantin (325) à Philippe Le Bel (+1314)

Puis on passa au régime des concordats où chaque reconnaissance de pouvoir réciproque faisait l’objet de laborieuses discordes.

Avec le XXe siècle les accommodements se transportent sur le terrain des droits. Les religieux (L’Église) ont droit à certains privilèges et à certaines fonctions. Droit de propriété avec exemption de taxes, droit de culte, droit d’association.

On leur confie aussi certaines responsabilités d’état comme la tenue des registres civils, les actes de naissance, de mariage et de décès, l’enseignement primaire, secondaire et même supérieur.,,,Ce fut au Québec pour les religieux et les religieuses une période faste. On nous accordait même, sans trop rechigner, certains privilèges réservés à notre rang : exemption de taxes, d’enrôlement dans l’armée, mutation « diplomatique » quand la soupe devenait trop chaude… Il y avait de part et d’autre une complaisance de bon aloi devant des disparités même un peu flagrantes. Je me souviens que mon titre de Rev, inscrit sur mon permis de conduire a quelques fois biffé une contravention au code de la route. On se souvient aussi du Père Aquin, le « Bon Dieu en taxi » arrêté en état d’ébriété.


Une nouvelle identité québécoise

En 60, avec la révolution tranquille, les accommodements raisonnables entre le civil et le religieux deviennent des concessions raisonnables du religieux au civil. Avec un détachement exemplaire peut-être attribuable à une baisse des énergies, l’Église et les communautés religieuses cèdent leurs privilèges et leurs institutions souvent prestigieuses à un état en volonté de prendre toutes ses responsabilités.On accepte que le religieux, sur le terrain de la cité terrestre soit un citoyen comme les autres, sans distinction ni privilège de droit. Signe de cette reconnaissance, les religieux et les religieuses adoptent le costume civil. Ils oeuvrent dans les institutions de l’État soumis comme tout employé aux exigences des postes qu’ils occupent, à la concurrence qui y règne, aux associations professionnelles et syndicales en cours. Les religieux ne sont plus des êtres à part! Le levain divin doit opérer dans la pâte humaine en l’inspirant et non en la dominant. C’est la vérité de l’heure.


Ces concessions raisonnables faites par les religieux sont aussi inspirées alors par un renouvellement de la théologie à Vatican II qui promeut les valeurs de l’Incarnation et du service des hommes sur celles du service de Dieu et de la rédemption ex cathédra..

Et de la part de la société civile québécoise on se dit de plus en plus à l’aise et en tolérance ou presque vis-à-vis de ce qui est différent, voire même étrange. Le multiculturalisme donne ses fruits. On sourit aux Italiens et à leur pizza, on regarde le football avec un intérêt grandissant, les gens de couleur causent de moins en moins l’urticaire des peaux blanches …Les accommodements pour les distinctions ethniques, ça va, on digère.


Des accommodements déraisonnables

Mais quand la différence se fait religieuse, là les poils se dressent. Pourquoi? Pourquoi rouspète-t-on contre le kirpan à l’école ou contre le tapis de prière à la cabane à sucre, ou les mets cachères à la cafétéria de l’hôpital? Craint-on une recrudescence de la violence dans les écoles à cause de cette arme d’apparat? A-t-on peur que nos lieux de récréation bien identitaires soient transformés en mosquée ou une épidémie type aviaire causée par les rayons cachères de nos épiceries? Pas vraiment.

Craint-on que l’expansion des musulmans chez nous voile nos femmes et entraîne la faillite de nos magasins de mode? Tout de même!
Selon ma petite psychanalyse peut-être à courte vue on réagit ainsi parce qu’on a peur, une peur bleue, non raisonnable du viol, par des fanatismes religieux, de notre identité récemment mise à jour. Notre identité de canadien-français porteur d’eau avait raisonnablement bien composé avec l’identité religieuse catholique. Fréquentée depuis notre berceau, on s’y était habitué. Depuis 1960 de façon plus que raisonnable, voire même tranquille on s’est libéré des deux identités de souche pour renaître à une toute nouvelle identité, québécoise et laïque. On en est fiers comme un adolescent de sa majorité.



Alors que plusieurs sociétés se sont déchirées longtemps dans de coriaces luttes de religion, nous sans coup férir, on a créé notre état québécois, laïc avec le plus grand respect des options religieuses catholiques personnelles. Laïcité et respect des individus c’est le cœur ou tout proche du cœur de notre identité. On est généreux. On dit à tout immigrant « vous êtes bienvenu chez nous » Vos croyances et coutumes on les respecte en autant qu’elles n’exigent pas d’altérations à notre costume nouvellement taillé.


Venir sur nos places publiques avec des airs de droit ou de supériorité, y afficher vos institutions religieuses, ou pire, exiger qu’on modifie notre bâtisse pour faire place à vos briques sacrées ça, on ne le prend pas. Portez-chez vous les costumes que vous voudrez mais dans nos écoles il faut vous conformer aux règles vestimentaires établies.

Et, ce qui nous horripile encore plus c’est lorsque l’un des nôtres, par aplat-ventrisme, ou par peur de déplaire ou de perdre son job, ou de toucher au sacré, décide d’accommodements non requis, ça c’est nettement déraisonnable. S’abstenir.


Florian
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La semaine prochaine :Identité divine vs identité civile No 2 - Version féminine – Des vestales à la burka





Note :Appel à toutes!





Pour appuyer et prolonger ces réflexions sur la double identité religieuse et civile, version féminine, il serait impératif de lever le voile sur le vécu de ces nonnes ou ex-nonnes qui ont dû passer par la coupe de la chevelure, le revêtement de la bure, la soumission totale pour accéder au sanctuaire de l’identité sacrée? Et avec quels sentiments fait-on machine-arrière après avoir vécu dix , quinze ou vingt ans dans cette enceinte? La Mer des Mots vous est toute grande ouverte et nos yeux pour vous lire itou.

FJ



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