mardi, mars 18, 2008

Hurlement de poète.

Ou le poète étouffé.

Les psaumes sont écrits sur les magnétophones
Les chorus ont un nègre à chaque mélopée
Les bouches font des langues sept fois retournées
Miserere Seigneur du fond des microphones

La nature d'acier pousse des fleurs chromées
Le juste en cadillac s'encense du cigare
Le courrier meurt de peur dans les aérogares
Miserere Seigneur du fond des destinées


Le boulanger joue la tournée au pain azyme
Les moutons des prisons se laissent tricoter
Et le coq de Saint Pierre a tranché son gosier
Miserere Seigneur du fond des anonymes


Les condamnés jouent au poker leur appétit
Et laissent aux suivants leur part de Jamaïque
Le coup de grâce dans le vent est liturgique
Miserere Seigneur du fond des piloris


L'estomac du commun se met en diagonal
Le traiteur donne aux chiens sa pitié tarifée
Les boueux ont glissé sur des peaux d'orchidées
Miserere Seigneur du fond des capitales


Les banques de l'amour sont pleines à craquer
Les "je t'aime" publics assomment les affiches
Les adolescents ont des lèvres postiches
Miserere Seigneur du fond des oreillers


Les vitrines regardent passer les voyelles
Les ortolans dans le commun prennent le frais
Et le saumon fumé boude le tapioca
Miserere Seigneur du fond de nos gamelles


Les femmes en gésine inondent le pavé
Les mineurs font un blanc à chaque lavabo
Les souffleurs de Baccara font des bancos
Miserere Seigneur du fond des encavés


Les brebis de Panurge attendent au vestiaire
Les visas escomptés percutent sur l'azur
La queue chez l'épicier jouit contre le mur
Miserere Seigneur du fond des muselières


La ville a dégrafé son corsage de mort
Les balles dans la rue ont la poudre nomade
Les pavés font la main aux yeux des barricades
Miserere Seigneur du fond des thermidors


Les temples sont cernés et sentent le roussi
Les magasines font la pige aux évangiles
Et les chemins de croix se font en crocodile
Miserere Seigneur du fond des crucifix


Le journal titre en deuil la Putain des frontières
La fleur fane au fusil et meure sous un drapeau
Et les téléscripteurs nous mènent en bateau
Miserere Seigneur du fond de nos galères


La maladie veille au chevet des ganglions
Le coeur est métronome et la vie est musique
A l'hôpital les symphonies sont catholiques
Miserere Seigneur du fond des pulsations


La fonderie sur le tour égrène son rosaire
Le tueur de la rue a gagé son beefsteak
Et celui de Kobe n'aura pas un kopeck
Miserere Seigneur du fond des mercenaires


Le verbe s'est fait chaire dans le ventre rusé
La putain Marguerite a la peau qui dépasse
Le caillot dans les plis sinueux se prélasse
Miserere Seigneur du fond des pubertés


Les bourgeois de la rue ont piqué la vérole
Et réclament partout de faux médicaments
Qu'on leur sert en faisant claquer toutes leurs dents
Miserere Seigneur du fond des carmagnoles


Les sextants sont en grève au coeur des matelots
Les oiseaux carburés fientent les équipages
Le soleil fait la course avec le paysage
Miserere Seigneur du fond des paquebots


La trouille a revêtu la terre de sa housse
Le plat de contrition se vend au marché noir
Le curé fait du supplément sous l'ostensoir
Miserere Seigneur du fond de la ressource


Les condamnés jouent au poker leur appétit
Ils vous laissent Seigneur leur part de solitude
Le service est compris nous avons l'habitude
Descendez donc seigneur de notre connerie


Amènes... soyons.

Ce texte, je l'ai lu, entendu kékepart...
Une copie d'où?
C'est un texte chanté... encore...

Oui, c'est l'anachiste aux cheveux en gris broussaille...
C'est ce son psalmodique qui dure et qui dure...
12 minutes.

1 Commentaire:

Florian Jutras a ?crit...

Impressionnant tant par la forme, le choix coriace des mots que par le fond, lecture d'une caméra qui focusse la misère dans tous les replis de l'humanité. Puissant! Léop Ferré n'a jamais été banal ni édulcorant.
Florian