LA GANDE DÉCISION
LA GRANDE DÉCISION
Septembre 1966.J'arrive au Couvent de la rue Rideau d'Ottawa tenu par les Soeurs de la Charité d'Ottawa (Soeurs Grises), afin d'y demeurer pendant que j'étudie à l'Université d'Ottawa dans le but d'obtenir mon baccalauréat en sciences infirmières. Je vivrai ici quatre années. C'est un très grand jour pour moi, car il y a longtemps que je désire faire ces études.
Je suis habillée comme toutes les religieuses du Couvent, car depuis 1951 je suis une Soeur de la Charité d'Ottawa. Après un an de postulat et un an de noviciat, je suis envoyée en mission au Sanatorium St-Laurent de Hull comme responsable des Laboratoires, compte tenu de mes quatre années d'expérience dans le domaine. N'ayant que ma 9e année d'études, je m'empresse tout en travaillant de poursuivre mes études de 11e et 12e année du Québec, ainsi que la 13e année d'Ontario. Après ces six ans de surmenage, je me retrouve hospitalisée à mon tour pendant un an au Sanatorium St-Laurent souffrant de pleurésie. Ce fut une année pénible mais en même temps enrichissante pour moi. Les longues heures de réflexion et de lecture m'ont appris a dire ``NON `` aux exigences exagérées de mes supérieures et de moi-même.
J'ai appris à mener une vie plus équilibrée.
Après un an et demi de convalescence, j'entre à l'École de Technologie Médicale de l'Hôpital General d'Ottawa pour deux ans. J'aurais préféré faire mon cours d'infirmière mais la communauté avait besoin de mes services dans ce domaine. Heureusement qu'après mon cours, je suis envoyée en mission dans le petit Hôpital de Buckingham où je côtoie davantage les malades.
Pendant mon passage a l'Hôpital Général d'Ottawa, j'ai eu la grande chance de vivre près de la Directrice de l'École des infirmières de l'Université d'Ottawa qui a bien compris mon désir de devenir infirmière. Elle a convaincu mes Supérieures que je servirais mieux la communauté en étant infirmière.
Au cours de ma vie, au moment ou j'avais besoin d'une personne ompréhensive, empathique, chaleureuse, je trouvais cette personne à coté de moi, et souvent c'était une religieuse. J'ai perdu ma mère à quatre ans. Mon père était convaincu que c'était les religieuses qui pouvaient le mieux éduquer ses trois filles. J'ai donc été pensionnaire pendant dix ans chez des religieuses. J'y ai vécu des années de bonheur. Malheureusement, lors de mes 14 ans mon père se remarie et ma belle-mère m'oblige à aller travailler à l'Hopital d'Youville de Noranda au lieu de continuer mes études. Là aussi une religieuse me sort de mon emploi de femme de ménage pour me donner un emploi plus valorisant de technicienne en laboratoire. Ces religieuses ont sans doute influencé ma décision d'entrer en religion en 1951.
En septembre 1966, je me retrouve donc étudiante à l'Université d'Ottawa tout en demeurant au Couvent, de la rue Rideau. Ces quatre années d'études furent des années décisives dans ma vie.
De 1960 à 1970 le Québec et l’Église connurent de grands bouleversements : la Révolution tranquille et le concile de Vatican 2.
J'ai eu la chance de vivre dans un milieu d'avant-garde avec, entre autres,
sept compagnes avec qui je participais chaque semaine à des échanges sur notre vécu dans ce monde de changements. Notre animatrice était une compagne professeur de théologie à l'Université St-Paul d'Ottawa et notre aumônier était directeur du Centre Novalis à Ottawa. De plus, à l'Université j'entendais les commentaires et les critiques de mes compagnes d'étude laïques sur l'Église et les communautés religieuses. La réalité nous ``pétait`` dans la figure. Impossible de faire l'autruche. Les railleries nous forçaient à prendre conscience de la réalité. Nous sentions l'agressivité monter envers les religieuses et l'Église.
Progressivement , nous en sommes venues à la certitude ``qu'il valait mieux opter pour la vie que pour la mort``, parce que nous croyions que notre communauté se dirigeait vers une mort lente.
Mais avant de prendre la grande décision, nous avons décidé d'aller aux sources. Nous avons donc demandé au Conseil Général de la communauté de nous recevoir pour discuter de la situation actuelle. Le Conseil nous a reçues et écoutées mais avec méfiance. Par la suite nous avons été considérées comme des ``rebelles`` qu'il fallait séparer les unes des autres. Moi, ayant terminé mes quatre années d'études, je fus envoyée ``en prison`` à la Maison Provinciale pour avoir soin des religieuses âgées.
Comme je demeurais convaincue alors que la meilleure décision était de quitter la communauté, je demandai une exclaustration, c'est-à-dire que j'allais vivre pour un temps dans une autre communauté religieuse. Ce que j'ai obtenu immédiatement. Les Soeurs Ste-Croix de Hull m'ont accueillie chaleureusement. J'y ai vécu trois mois pendant que je travaillais comme infirmière chef d'équipe à l'Hôpital Pierre Janet de Hull. Ma conviction étant toujours la même, je demandai d'être relevée de mes voeux, ce que j'ai obtenu sans difficulté. Mes sept compagnes du couvent de la rue Rideau firent de même.
Pendant ces années de grands bouleversements dans ma vie personnelle et communautaire, la société Québécoise vivait la Révolution tranquille. Pour essayer de mieux comprendre cette révolution ainsi que son influence sur les communautés religieuses féminines, faisons un brin d'histoire.
``Au milieu du 19e siècle le Québec sort d'une période sombre. La défaite des Patriotes et la proclamation de l'Union du Haut et du Bas-Canada
entraînent un affaiblissement de l'élite politique de la société canadienne -francaise. Ces événements ont des conséquences sur la vie des femmes. La plus importante est sans doute la cléricalisation de la société Québécoise qui s'installe dans la foulée de ces événements et qui amène avec elle un encadrement de la vie des femmes, parfois jusque dans leur intimité. En revanche, en prenant en charge le champ de l'enseignement et des services sociaux , l'Église catholique favorise la fondation et le développement de nombreuses communautés religieuses féminines qui permettront non seulement d'offrir toute une gamme de services à la population, mais qui offriront aussi l'occasion à des femmes de mettre en valeur leurs talents et d'apporter une immense contribution à la société Québécoise.``
(Oeuvres de femmes 1860-1961,Lucie Desrochers, les Publications du Quebec, 2003,Préface page X.)
650 femmes portent le voile au Québec en 1850, tandis qu'en 1960 elles sont 35,073. Cette période est l'âge d'or des communautés religieuses féminines au Québec. La Révolution tranquille a sabré dans la cléricalisation de la société Québécoise. Les communautés religieuses féminines pensaient que la Révolution tranquille se ferait avec elles. Au contraire elle s'est faite sans elles. Partout, elles sont évincées des postes de commande .
Pourquoi les religieuses ont elles été évincées par le Gouvernement du Québec des postes de commande lors de la Révolution tranquille ? Est-ce bien que le Gouvernement du Québec voulait tourner la page à la cléricalisation de la société Québécoise qui a commencé à se faire au milieu du 19e siècle ?
1850 a 1960 : la société québécoise a vécu un siècle de cléricalisation. Étant donné que cette cléricalisation a commencé à cause de la faiblesse des politiciens du temps, faut-il s'étonner qu'en 1960, temps où le Québec avait des politiciens chevronnés, que ces politiciens veuillent mettre fin à cette cléricalisation ?
Est-ce que l'Église catholique a pris une bonne décision en comblant ce vide politique ? A la Révolution tranquille un grand nombre de religieuses se sont retrouvées à 40 ans au plus à refaire leur vie comme laïque dans la société, parce que l'avenir des communautés religieuses ne correspondait plus à leurs aspirations.
Est-ce que la population québécoise aurait reçu une aussi bonne éducation, d'aussi bons soins aux malades et une aide aussi précieuse aux démunis de notre société, si l'Église catholique n'avait pas comblé ce vide politique ?
Monique Picard
1 Commentaire:
Est-ce que... Est-ce que... Ce sont toutes là d'excellentes questions qui ne trouveront probablement jamais de réponses satisfaisantes, cette époque ne pouvant, selon moi, être analysée objectivement ni ouvertement. Les mots qui réfèrent à cette période sont en quelque sorte pipés pour ne pas dire 'piégés' : cléricalisation, catholique, canadien-français, révolution tranquille... Et que dire des images d'époque qu'on monte et qu'on nous montre (bouts de films, photos...), qui sont aussi 'piégées' (je pense à bien des 'documentaires' biaisés du canal Historia, par exemple).
L'emballage masque le 'produit', ici, le vécu; et le montage médiatique le discrédite neuf fois sur dix. La réalité historique de cette période est pourtant tellement simple et normale lorsqu'on la situe dans son contexte, lorsqu'on la dépouille de sa chape de préjugés et de railleries.
Il y a des mots qui décrivent pas mal mieux cette période -- je vous en emprunte quelques-uns : soins, enseignement, services, études, aspirations, accueil, mission, empathie, échanges; auxquels j'ajoute idéal, partage, spiritualité, discipline, esprit d'équipe...
Il me revient deux drôles de questions que je me suis déjà posées à moi-même faut d'interlocuteur capable de les décoder : 1. Dans quelle mesure les défroqués - c'est beaucoup de monde ça, au Québec, et du monde de qualité - peuvent-ils apprécier leurs années passées en 'religion' autrement que comme ayant été contraignantes (et c'est un euphémisme...)? 2. N'y a-t-il pas dans leur/notre rejet massif de la 'religion' et ses répercussions dans notre société 'tranquille' une piste d'explication du 'vide identitaire' ressenti par les « descendants des Canadiens-français » comme on nous désigne maintenant ironiquement dans les communications de la Commission Bouchard-Taylor?
Est-ce que... Est-ce que...
En fait, je ne voulais pas vraiment ajouter d'autres questions aux vôtres, je voulais seulement vous dire que ça m'a fait du bien de lire votre histoire sans y déceler la moindre honte ni la moindre rancoeur...
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