Un grand crû sans l'étiquette
Toute la grande famille se retrouvait aux funérailles de tante Fabio, quatre-vingt-quinze ans, décédée au bout de son souffle, la semaine dernière.
Même si je ne suis pas particulièrement friand de ce genre de rituel je dois reconnaître qu’on y a apporté des modifications importantes et intelligentes.
Il n’y a plus ce noir dont l’intensité s’ajustait à l’importance du « client ». Plus non plus ce « Dies irae » en trémolo à induire chez les survivants une peur bleue de la mort toute en noir. Le glas funèbre au temps d’éternité n’a pas sonné et les porteurs n’ont plus l’allure des croque-morts au pas militaire mais sont d’humbles citoyens aux tempes grisonnantes, au service de la communauté.
Depuis un certain temps, c’est venu comme cela, comme une brume qui atténue toutes les aspérités, sans le tonitruer, je me dis non croyant. Les énoncés de l’étiquette catholique n’obtiennent plus mes amen. Je ne crois pas que Dieu est né un jour à Bethléem, qu’il est mort sur une croix pour ressusciter le troisième jour. En conséquence je ne crois pas non plus que je vais ressusciter après ma mort ni retrouver comme récompense de mes bonnes actions ceux qui m’étaient chers dans la vie. Un cran de plus creux que André Malraux qui, trouvant que cela était si beau, souhaitait, sans y croire, que ce fut aussi vrai. Moi non. Je sais que le monde et la vie sont ainsi faits et je suis confortable là-dedans. Pas devant la mort mais devant la vie, devant ma vie qui se terminera par un point final.
Je ne dis pas que les funérailles de ma tante m’ont bouleversé l’âme. Cependant j’ai été touché par les différents temps de cette cérémonie. Je l’ai dégustée, lentement comme un bon vin qui nous réconcilie avec la vie.
Je ne suis pas spécialiste en rites funéraires mais je ne connais pas au monde de rites qui soient aussi efficaces que les rites catholiques, pourvu qu’ils soient bien exécutés, pour exorciser la mort, renouer les liens entre les vivants et nous relancer avec un nouvel élan à la conquête de notre vie.
L’une des principales raisons des rites funéraires c’est de permettre aux survivants de faire leur deuil de la personne qu’ils ont aimée. Ce fut fait avec quel tact! L’officiant avait pris soin de s’informer des principaux traits qui ont marqué la vie de ma tante. Il les a évoqués et comme dans un film en camaïeu aux teintes du passé et des souvenirs il a fait ressortir les traits les plus caractéristiques de la vie de ma tante. Tous la reconnaissaient mais elle appartenait déjà au passé. Ainsi, presqu’imperceptiblement, la coupure du temps s’est faite laissant intacts et même revigorés les liens qui nous unissaient à elle.
Les chants exécutés par quelques bénévoles redisaient en tonalités de paix les mots d’amour que chacun formulait dans son cœur. Ils répandaient en chacun la chaleur d’une vie qui avait été celle de ma tante et qui était celle souhaitée par tous, non celle d’un tonitruant au-delà de la mort.
À l’homélie, l’officiant fit de sobres commentaires du passage de l’Évangile judicieusement choisi où Jésus parle de préparer une place là où il va. Le mystère de l’au-delà est respecté dans son entier sans en forcer aucune porte.
Et à la communion avec des accolades bien senties, chacun était fier d’exprimer les liens qui l’unissait à tante Fabio et de repartir célébrer ensemble la vie qu’elle avait rayonnée avec tant de vigueur.
Un rite tout orienté non vers la mort à apprivoiser ou l’au-delà à percer mais un ensemble de gestes et de paroles, baume sur les plaies des survivants, tonique qui gonfle le goût de vivre, liens qui renoue les amitiés et fraternités établies.
Ce fut si intense que lorsqu’au crématoire on tira le rideau devant la tombe j’ai eu le réflexe d’applaudir comme l’on fait quand on ferme le rideau après la dernière scène. Je ne l’ai pas fait par pudeur, mais j’aurais dû, par vérité.
Les funérailles chrétiennes, un bon crû, mûri de longue date, que l’on verse bien dosé aux convives comme réconfort, sans les importuner avec les étiquettes de foi catholique.
Florian
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