vendredi, août 31, 2007

Plus jamais la guerre



Nous sommes le mardi 13 septembre 1939. Les pacages sont à sec. Pour compenser et empêcher les vaches de tarir, je dois démêler le foin de l’été et en servir aux vaches qu’on vient de finir de tirer.
Que je hais (pour j’aguis) cette tâche. La fourche à trois pics et à long manche
entre difficilement dans le foin entassé presque jusqu’au pignon dans la tasserie aménagée au-dessus de l’étable. Il faut s’y prendre à multiples essais de tous les côtés pour dégager des petites galettes de foin que l’on jette en bas. Souvent on n’en sort que quelques brins ou le paquet que la fourche prendrait est trop lourd.
Je travaille les dents serrées et l’esprit préoccupé.

Hier ma sœur Claire, cinq ans, a fait une crise. Elle s’est réfugiée en dessous du moulin à coudre, dans la cuisine d’hiver que nous n’occupions pas encore. Impossible de la sortir de là. Elle avait peur.
En fin de semaine, à la messe, des rumeurs de participation du Canada à la guerre déclenchée par Hitler circulaient, râflant toutes les attentions. Les huit postes de la ligne téléphonique du rang St-Alexandre étaient aux aguets.

La veille, vers six heures du soir, une sonnerie, qu’on n’avait pas pris le temps d’identifier
, (chez nous c’était trois grands et un petit coups) avait ouvert les huit cornets d’écoute du rang. La nouvelle, tombée drue comme un coup de tonnerre, était confirmée. Le 11 septembre, le Canada s’était allié aux anglais et aux français et avait déclaré la guerre à l’Allemagne.
Au souper on ne parlait que de cela. Les histoires de la guerre de 14 sont ressorties, toutes grasses des légendes qui les avaient entretenues. Elles étalaient sans retenue leurs horreurs sur la table de cuisine qui nous rassemblait après le train.
On parlait de polices qui venaient à l’improviste chercher les gens chez eux, de fuites et de séjours prolongés dans les bois environnants, de jeunes hommes qui s’étaient courageusement coupé un pouce ou une main à la hache pour être déclarés inaptes.
La guerre c’était aussi les bombes qui tombaient partout, mettant le feu aux maisons et aux bâtiments, les avions qui les lâchaient dans un vacarme infernal. Cette nuit, demain peut-être des nuées d'avions allemands, voleraient dans le ciel comme des sauterelles et laisseraient tomber lpartout leurs bombes de feu. Puis on supputait les chances ou les malchances qu’auraient nos cousins ou connaissances d’être appelés. Et le long voyage en mer pour aller porter la guerre aux vieux pays ou la supporter de nos vies…
Sonorités d’horreur. Ma sœur prit peur et en larmes alla se cacher sous le moulin à coudre de la cuisine d'hiver.
Pourquoi la guerre et comment l’arrêter. C’est ce qui me préoccupait en me battant contre le foin revêche. Tout à coup, je m’arrête, les deux mains au bout du manche de la fourche plantée à mes pieds…Eurêka me serais-je dit si j’avais alors connu Archimède. La guerre c’est une chicane comme nous en avons trop souvent entre frères et sœurs. On se chicane à la maison, ça se transporte à l’école, de là, village contre village, puis c’est le pays qui est en guerre et contre les autres pays. Au lieu des poings et des roches ce sont des bombes qu’ils se
garochent.
Ma décision est prise. Jamais plus je ne me chicanerai. Ainsi ce sera la tranquillité dans la famille, il n’y aura plus de batailles à l’école, ni de chicanes au village ni de guerre dans le monde. Je savoure ma trouvaille comme un bonbon qu’on aurait trouvé dans une tasserie de foin, au hasard des piquées de fourche.
Gonflé par cette décision, j’ai rapidement démêlé le foin qu’il fallait et un peu plus en pensant à la tâche du soir et j’ai vécu une journée ensoleillée par l’espoir. J’ai résisté à l’envie de talocher Berchmans (7 ans) qui me boudait et je n’ai surtout pas chiâlé « après » Yolande qui, un an de plus que moi, ne se gênait pas pour « faire sa boss ».
Je ne me souviens pas de l’effritement de ma résolution avant la fin de la journée ni les jours qui l’ont suivi. C’est parce que je me suis encore chicané par la suite que le téléphone à huit branches n’a jamais sonné pour annoncer la fin de la guerre et la paix dans le monde cette année là.
La nouvelle de la fin de cette guerre m’est parvenue plus tard, au noviciat, sous l’image du champignon atomique qui venait de signer la paix avec le Japon à Hiroshima et Nagasaki. Horreur sur horreur!
Quand je passe ce souvenir à l’ultraviolet, je crois déceler la continuité d’un fin courant entre le flash qui a illuminé tout mon être ce 13 septembre dans la tasserie et ma présente attitude incontournable et non négociable face à la guerre, face à toute guerre.

La guerre à St-Zéphyrin
Jusqu’en 39 la guerre ne figurait pas dans le ciel de mon enfance. On se chamaillait comme tout petit gars, frère rival dans une famille comportant de nombreux mâles. Mais je ne me souviens pas d’avoir joué à la guerre, de m’être fabriqué un fusil de bois ni d’avoir pratiqué la mitraillette en onomatopée. Le volant d’une auto nous fascinait et l’émission « Capitaine Bravo descendez » me faisait rêver avec ses vrombissements et ses exploits du haut du ciel. Je n’ai jamais joué au cowboy non plus, il n’y avait pas de fusil chez nous et mon héros de bandes dessinées, une espèce de Zorro masqué, dont j’ai oublié le nom, était un agent de la paix qui jouait de ses poings et de son agilité au service du journal de Québec, « L’Action catholique » que mon père achetait parfois le dimanche.

En septembre 39, le spectre de la guerre a occupé une bonne partie du ciel de mon enfance, comme un monstre aux contours dessinés par l’imaginaire, un monstre qui terrorisait les souvenirs, et qui hantait les rêves d’avenir que chaque mère fignolait pour ses enfants grandissant. Guerre sainte et guerre juste, étaient à St-Zéphirin, des termes incompatibles réservés aux citoyens d’une autre classe.
L
es Zouaves pontificaux qui, une fois par année, paradaient dans la grande allée avant la grand-messe, n’ont jamais réussi à amadouer ce monstre. Ces soldats, les seuls qui régnaient dans l'imagerie de St-Zéphirin, ne faisaient pas la guerre, ils étaient au service de Sa Sainteté le Pape.
En réalité, on a peu souffert de la guerre. La
conscription soumise avec des gants blancs en référendum par Mackenzie King en 1941, n’a pas levé beaucoup de soldats dans les campagnes. Les fils des cultivateurs surtout du Québec étaient moins menacés par l’enrôlement. Il fallait de bons bras pour faire les foins et les labours.
Les bons de rationnement créaient entre les femmes des liens de solidarité que par la suite, les timbres Gold Star vont remplacer comme instrument de solidarité féminines Cf. Les Belles sœurs de Michel Tremblay.
Les cultivateurs bénéficiaient pour leurs tra
cteurs de bons spéciaux (essence de couleur noire, qu’ils mettaient aussi à la dérobée dans leur auto) et étaient exemptés de beaucoup de mesures de rationnement.

Malgré ces ménagements, la résistance passive à la guerre et à la conscription était très forte. Les Canadiens français ont voté non au référendum sur la conscription alors que le reste du Canada votait oui à 79%.

On prenait plaisir à tricher le gouvernement et le récit de ces astuces figurait à notre palmarès anti-guerre, soigneusement mis à jour.

Ces résistances étaient soutenues par la politique et notamment par notre idole du temps, Henri Bourassa qui, avec son Devoir, lors de la première guerre mondiale, avait rallié une forte majorité de canadiens-français contre Borden et sa conscription.
Sous la table, c’était une autre guerre que menaient les canadiens-français. Une guerre contre les Anglais. Une guerre d’opposition aux politiques fédéralistes proposées par les anglophones et surtout par le parti conservateur, une guerre de fond, une guérilla à l’affût de toute escarmouche qui nous permettait de sauver la face suite à l’échec de 1837 ou de se dresser devant les multiples empiètements d’Ottawa sur nos droits de peuple fondateur. Notre guerre tonifiait notre identité de canadien-français catholique, menacée de toute part.

Voilà pourquoi, je crois, aujourd’hui, le cœur me lève quand on annonce à grand renfort le départ de jeunes québécois qui vont risquer leur vie au service de la guerre des conservateurs en Afghanistan, au profit de l’impérialisme américain et pour servir les intérêts des industriels impliqués dans la production d’armes ou dans la loto des pétrodollars.

Et je garde la conviction que mon intuition du 13 septembre 1939, épousée un peu p
lus tard par Gandhi et par Paul VI à l’ONU, est la seule qui vaille pour enrayer la guerre. La guerre ne prépare pas la paix mais la guerre. Si vis pacem para bellum est un leurre inventé par les stratèges catholiques pour consolider leur flirt avec le pouvoir. La paix vit de la paix, naît de la paix, non non de la guerre. L'oeuvre humanitaire en Afghanistan est un leurre pour remplir les goussets des pétrophiles!
Mon
icône qui m’ouvre le dossier de la guerre et de ses horreurs, c’est Claire en larmes sous le moulin à coudre dans la cuisine d’hiver ce 13 septembre 1939.
Florian
P. S.
La
guerre de 1914 a fait 8 millions de morts, en moyenne 900 soldats par jour en France. La guerre de 39, entre 50 et 60 millions. 69 canadiens ont laissé leur vie en Afghanistan! Pourquoi chiâler? Parce que c’est 69 de trop, parce que les oppositions à la guerre, à toute guerre gagnent du terrain. Il faut continuer la guerre à la guerre, jusqu’à ground 0.

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