lundi, août 27, 2007

Le coeur du xxième siècle

Le cœur du XXième siècle

Monique nous introduit au cœur de ce siècle.
Qu’est-ce que les historiens en retiendront? Je ne le sais. Il me plaît à penser que décléricalisation et sécularisation sont les deux gonds de la charnière de ce siècle. Le monde occidental pour le moins, semble avoir dans les années 60 à 80 franchi le seuil qui établit la démarcation entre un monde encore très marqué par les valeurs, l’organisation et le pouvoir religieux à un monde volontairement sécularisé et en processus rapide de désacralisation.

Les bastions les plus imprenables de cette civilisation judéo-chrétienne ont tour à tour et pendant une période de temps très courte (20 ans tout au plus) été pris avec une facilité étonnante. On peut penser, sans que l’ordre soit rigoureux, aux moyens de contraception, à l’avortement, la conception in vitro, l’indissolubilité du mariage, les relations pré-maritales, le costume religieux, les écoles catholiques, l’ouverture des commerces lors des fêtes religieuses, la liste de ces même fêtes légalement reconnues, la censure des films et des imprimés, le droit d’intervention de l’Église dans les conflits syndicaux … et la liste n’est sûrement pas exhaustive.

Au Québec ces modifications profondes de la société sont venues comme avec l’air du temps sans mobilisation importante, ni affrontements majeurs ni scission comme celles qui peuvent encore marquer la société américaine. L’Église par certains membres avant-guardistes de son clergé et par l’Action catholique a même pavé la voie à ces renouveaux. Les énoncés assez catégoriques venant du Magistère n’ont pas été soutenus avec vigueur par beaucoup de membres éminents du clergé. Le mouvement des femmes s’est plutôt concerté contre ou en critique musclée des dictats de l’Église surtout dans les domaines de la morale conjugale et matrimoniale. Le « Mouvement laïc de langue française » né dans le fracas a dû fermer ses portes, faute de combats.

Et est arrivé le concile Vatican II qui, avec ses bouffées d’air frais, aérait la Maison de Dieu. Depuis le concile de Trente en effet on étouffait dans la maison de Dieu. Tout y était contrôlé rigoureusement. Les hommes, par obligation d’état étaient au service de Dieu alors que l’incarnation si fondamentale au christianisme avait annoncé la Bonne Nouvelle d’un Dieu au service de l’homme et de son salut. Vatican II a réédité l’Évangile de la liberté et de la gratuité.
Il n’est pas surprenant que, dans ce contexte, des engagements pris devant Dieu et pour son service sur la base d’un destin qu’on qualifiait de privilégié (la vocation) aient été remis en question lorsque les valeurs de liberté et de gratuité sont apparues au palmarès des vertus humaines et chrétiennes.

Et ajoutez le fait que, du jour au lendemain ou presque, les institutions religieuses (collèges et hôpitaux) qui concrétisaient et motivaient les engagements quotidiens de ces religieux et religieuses sont démantelées et prises en charge par l’État. Le sentiment que le terrain glisse sous ses pas est très inconfortable. Il n’est pas étonnant qu’un grand nombre aient cherché leur voie sur des terrains plus solides.

En l’espace de cinq ans (entre 70 et 75), des statistiques pourraient le confirmer, il y a eu un nombre très important de « défroqué(e)s » au Québec et cela à des pourcentages semblables tant chez le clergé que dans les communautés de frères et de sœurs. Et cette sécularisation s’est faite sans violence ni acrimonie, comme l’eau qui se retire lentement suivant sa pente naturelle ou le fruit d’automne qui tombe à maturité.

À mon point de vue, tous les « Est-ce que » soulevés par Monique et repris par Jean ont une réponse commune et fondamentale quoique non exhaustive: les temps étaient mûrs, on est passé « tranquillement » dans le sens de sans violence, mais rapidement, d’une société cléricale ou très profondément marquée par les valeurs chrétiennes à une société laïque où la foi et tout son cortège d’institutions et de valeurs n’ont a plus pignon sur rue mais demeurent un choix personnel respecté, mais qui ne fait pas norme.
Quand je revois ce temps il me plaît de me rappeler avec quelle ardeur à l’intérieur des communautés, nous épousions les renouveaux qui surgissaient de partout, avec quelle paix et quelle sérénité la plupart que je connais ont pris et assumé « la grande décision » de quitter une communauté chérie pendant de longues années pour continuer les mêmes engagements dans un nouveau décor.
J’ai été aussi l’heureux témoin du sérieux et de l’ardeur que ces anciens religieux ont mis dans leur vie et leurs engagements séculiers. Jean et Monique ont été maire et mairesse de leur municipalité, d’autres ont pris des engagements dans les commissions scolaires, les hôpitaux, les partis politiques, les CLSC, l’animation de la pastorale paroissiale ou autre et que sais-je?

Et j’admire aussi les attitudes qui ont prévalu chez ceux qui sont restés et dans leur communauté et dans l’Église. Dans ces moments difficiles il y a eu à ma connaissance fort peu de mesquinerie et beaucoup de grandeur d’âme de part et d’autre. Le témoignage de Monique, quoique discret est sur ce point, est assez significatif. Partout où il y a de l’homme il y a de l’hommerie dit la caricature populaire mais ici, il y a eu des femmes et des hommes qui ont su bien faire les choses.

Jean pose deux questions importantes. Sans aucune prétention j’y apporte mon grain de sel de réponse comme si les questions m’étaient adressées personnellement.

Quel regard ai-je sur les années passées en communauté. Ces années me paraissent-elles contraignantes? Je réponds nettement, non, à cette question. Et je crois lire cette même réponse dans mon entourage d’anciens religieux et religieuses. Je me suis toujours senti privilégié d’appartenir et d’œuvrer dans cette communauté. Je l’ai quittée à regret mais sans amertume. Un peu j’imagine comme un jeune quitte le foyer familial pour passer à autre chose.

Quant au rejet massif de la religion par la majorité des québécois pendant cette période je dois dire que je n’y vois pas beaucoup de rapport avec notre crise identitaire. Ce rejet m’apparaît beaucoup plus comme le résultat d’un processus interne de la religion elle-même qui devait changer radicalement de forme et de discours pour s’incarner dans la pâte humaine en mouvance pour ne pas dire en transhumance. Jésus a dit on ne peut mettre de vin nouveau dans de vieilles outres, elles vont éclater. C’est ce qui est arrivé. La crise identitaire était probablement portée par la même énergie de transformation mais je ne crois pas qu’on puisse établir entre les deux un rapport de cause à effet. Il y a eu tout au plus concomitance ou « accommodement raisonnable » les deux voyageant dans le même bateau … sur une certaine mer de mots…

La sécularisation des religieuses et des religieux en 70 apparaît comme des battements importants du cœur du XX e siècle qui ont contribué grandement, du moins au Québec, à ouvrir une ère nouvelle à notre civilisation.

Florian


2 Commentaires:

Quidam duFleuve a ?crit...

Oui, Florian, j'aime quand tu te fais « esquisseur » de l'histoire, la nôtre. Pour y mettre mon petit grain de sel sur ton méta-regard, je pense que l'analyse à susurrer de "notre commune sécularisation", de la démarche "maître chez-nous", de "l'individualisation des valeurs sociales et personnelles" pouvant aller jusqu'au rejet de l'idéologie religieuse, de la politique élitiste, ne doit pas partir de l'intérieur des deux décennies 60 et 70. Ces temps de changements, de modifications, d'accélération!, ne sont qu'effets (auto-bungalow, loisirs-vacances payées-bénéfices marginaux-fonds de pension, luxe-classe moyenne en forte croissance, etc.) Les causes seraient antécédentes, s'étendant sur quelques autres décennies, sans pour autant remonter au déluge. À mes yeux, 60-70 est un ressac.

La femme, l'homme ensoutanés et marginalisés plus ou moins volontairement, avec un plein rôle social, sont des citoyens à part entière. En 1965, si on m'avait demandé "es-tu catholique et canadien ou du rang inverse?", je pense que j'aurais fait passer ma religion avant ma nationalité...

J'appuie ma réflexion, un regard sur 'le sac' (sac et ressac, ma Mer oblige), en suggérant la lecture de...

« La communauté perdue » Jean-Marc Piotte (1987) UQAM.

Heureusement, ce livre142 p. est 'en ligne'. http://docs.google.com/Doc?id=dhks2mmt_21c664d6
( svp Copier/Coller) (Bonne occasion de connaître « Google Document et Tableur – beta)

« La position du chrétien face au nationalisme » par André Laurendeau.

Texte archivé et mis en ligne par le Collège Marianopolis de Westmount!

http://faculty.marianopolis.edu/c.belanger/quebechistory/docs/1930s/Notrenationalisme-AndreLaurendeau-JeuneCanada-HistoireduQuebec.htm
( svp Copier/Coller)

Encore un peu... tant qu'à zieuter notre propre histoire toute proche!

Un air de famille. Entre La relève et Refus global : la génération cachée
Marcel Olscamp, Université McGill


« Lisez-moi ça !
Vous entendez ? d’un couvert [sic] à l’autre, ordonne, péremptoire,
un autre zélateur enthousiaste. Tout. Gros texte, petit texte, notes,
parenthèses. Tout y est important. Lisez !
» Jean Filion, journaliste en herbe « Sur le même ton », Brébeuf, vol. III, no 13, 2 mai 1936, p. 2.

http://www.erudit.org/revue/tce/2000/v/n62/008171ar.pdf
( svp Copier/Coller)

C'est beau, un peuple qui se réveille tout à coup avec un grand frisson, comme un corps d'homme et qui s'aperçoit qu'on parle la même langue et que d'un bout à l'autre on n'est plus qu'une seule pièce, un seul corps et une seule âme. Paul CLAUDEL

Florian Jutras a ?crit...

Bonsoir Jacques
Merci pour tes recherches sur la sécularisation. J'en ai parcouru quelques-unes en diagonale. Ça semble confirmer mes intuitions à fleur d'eau ou à fleur de peau.
Il est certain que le processus de sécularisation qui est toujours présent dans toute religion, s'est manifesté moult fois au Québec avant les années 70. Et beaucoup de religieux, même ensoutanés l'ont engraissé et lui ont donné du nerf. Je pense à toutes ces percées hors des sentiers battus que d'humbles frères ou des soeurs délurées ont accompli souvent sur la corde raide qui délimitait le permis et le défendu, la terre sainte de la profane, la sainteté de la damnation.
Les communautés enseignantes ou hostpitalières étaient déjà une forme séculière de l'apostolat chrétien.
Beaucoup d'exemples pourraient corroborer cette paprenthèse.
Mais dans les 70, il y a eu une explosion du processus. Cette explosion certains peuvent l'attribuer à des causes extérieures, (création des ministère de l'éducation et des services sociaux.etc..). Sans réduire l'importance de ces facteurs, je préconise qu'il y a une dynamique interne à la religion elle-même qui participe au grand courant d'émancipation de l'homme en devenir et produit de temps à autre des poussées de libération. Ainsi, l'humanité en notre siècle et à travers nous est passé à un autre pallier dans sa relation avec la divinité. Depuis qu'il existe, l'homme s'est toujours libéré des dieux qu'il a produits et je ne crois pas qu'il y ait dans ces domaines de substantiels retours en arrière.
Tout n'est cependant pas dit sur le sujet. C'est l'histoire qui aura le dernier mot et probablement que nous ne serons plus là, mon frère, pour l'entendre ce mot que la mer récupérera de toute façon.
Est-ce donner une mission éternelle à la mer? Quand même!...
Florian