mercredi, août 01, 2007

La mousse aux fraises


La mousse aux fraises

C’était le mardi 24 juin 1941. Le soleil était radieux. On avait mené le lait plus tôt à la fromagerie. Vers huit heures, en route pour l’école nous fleurissions de nos costumes du dimanche le rang St-Alexandre. C’était le dernier jour de l’école, le jour de la distribution des prix.
Le curé, encadré de quelques commissaires, devait venir à l’école, y questionner les élèves au grand énervement des maîtresses et donner les prix : le prix d’assiduité qui était le même pour tout le monde, une chaînette ou une médaille ou une image, et quelques prix d’excellence, un livre rouge, relié, décoré de quelques enluminures dorées.

On avait tassé les bancs du bas de façon à pouvoir loger les grands qui occupaient habituellement le haut de l’école.

Je ne me souviens plus du nom de la « maîtresse » des grands ni de celle des petits. Les demoiselles Farly ou Biron? Je me souviens seulement qu’elles étaient aussi impatientes et plus énervées que nous. Attendre des commissaires qui ne viennent pas alors qu’on est tout endimanché et qu’on ne peut rien faire, c’est long, très long.

Finalement ils arrivent. Un boggey de commissaires dominés par la stature du curé Brassard, ça ne passe pas inaperçu dans le rang. Ça soulève une poussière spéciale.

Aussitôt arrivés, solennels comme des Saint-Sacrement, ils ont fait la procession entre les bancs et ont occupé la tribune du devant de la classe. Il y a naturellement eu la prière officielle, un « Notre Père et un « Je vous salue Marie ». Puis il fallait prouver qu’on savait nos prières, le « De profundis » en latin, l’épreuve suprême et redoutée. Il fallait aussi lire à tour de rôle et réciter des tables d’addition ou de multiplication. Tous les degrés y passaient. La maîtresse faisait à la dérobée des signes de se tenir droit et de regarder en avant.

Les prix ont été rapportés à la maison, montrés à maman dont les marques d’appréciation valaient encore beaucoup plus que les prix qui seraient remisés et bientôt oubliés.
Les habits du dimanche prirent vite le bord. C’était la tradition, il fallait, avant le dîner, ramasser assez de fraises des champs pour que maman fasse la fameuse mousse aux fraises qui, comme un ruban d’honneur, ouvrait les vacances.

Un bocal de tomates rattaché à la ceinture par une corde de lieuse et nous voilà un groupe de six, sept ou huit enfants du voisinage partis du côté de chez Jean-Baptiste, là où il y avait les plus belles talles, à la cueillette des minuscules fraises rouges.

Les coalitions se formaient vite, généralement les gars d’un bord et les filles de l’autre. Il y avait des talles protégées, des cachettes et en l’espace de dix minutes le groupe était fractionné et dispersé.
On se crie, on se cache, on se taquine, on ramasse plein de fraises en pensant à maman et on en mange autant. Chacun allait à sa guise s’émerveillant devant les généreuses talles, courant les papillons folâtres, dégustant les « catherines » saisies au passage, se maquillant les lèvres, les joues et le front au rouge-fraise du jour.
Qui dira jamais la merveilleuse liberté des enfants qui vont aux fraises sur le bord des fossés du rang St-Alexandre, sous le soleil du 24 de juin dans les années 40?

Ce mardi là, les filles les plus âgées, Yolande, probablement Françoise, Pauline, Louisette peut-être Claire, Thérèse et Clémence … avaient vite disparu en direction de chez Ernest Allard. Nous les avions suivies de loin espérant repérer leur talle.

Couchés sur le bord du fossé, la tête sous la clôtu
re de broche, les yeux rivés vers un point fixe, nous étions trois ou quatre petits gars éberlués par une vision d’un autre monde. Des silhouettes de jeunes filles toutes nues apparaissaient et disparaissaient comme dans un film muet, allant et venant dans l’étang du fond du champ.

L’instant était si magique que nous n’avons pas ri, ni crié ni rapporté l’événement à qui que ce soit par après. Nous avons comme convenu tacitement que ce serait notre secret logé bien au chaud dans notre imaginaire.

Comme à l’accoutumée ce midi de la St-Jean, les deux volumineux plats de mousse aux fraises des champs fraîchement cueillies ont fait les délices de la tablée.
Cependant pour moi cette mousse-là avait une saveur spéciale, celle du secret bien cajolé, celle de l’innocence buvant à la coupe des vacances, celle aussi du mystère de la vie découvert sous les traits de gracieuses silhouettes féminines se baignant dans un étang au fond du champ.

Voilà pourquoi j’aime tant la mousse aux fraises. Et cueillir des fraises c’est comme gratter un billet de gros lot. Qui sait? Le miracle pourrait se reproduire. On pourrait gagner une merveilleuse apparition comme celle qui a illuminé mon enfance ce 24 juin 1941.
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Initiation sexuelle dans le rang St-Alexandre

Naturellement on savait la fonction d’un bœuf dans le clos des vaches et on le voyait l’exercer. Régulièrement la truie était encagée et conduite chez le voisin pour une rencontre avec son verrat. C’était le quotidien de la vie à la campagne et, enfant, on ne faisait pas de lien avec la sexualité humaine.
Plusieurs fois par année de nouveaux bébés arrivaient dans le rang. On ne parlait pas de choux ni de sauvages. Rituellement on éloignait les enfants des lieux de naissance.
Les voisins nous gardaient jusqu’à la fin du jour et souvent pour la nuit. Ou, après le train du matin, c’était la voisine, tante Solange qui, au poêle, nous faisait nos galettes de sarrasin.
De la chambre du haut maman était descendue à la chambre du bas adonnant à la cuisine. Puis la visite, venue de St-Cyrille ou de St-Hyacinthe ou de l’autre rang arrivait vers la fin de l’après-midi, repartait pour l’église puis revenait pour le souper avec l’enfant emmailloté de blanc.
Il fallait alors faire moins de bruit qu’à l’habitude pour ne pas fatiguer maman et ne pas réveiller le bébé. Quelques jours après maman reprenait son boulot quotidien.
Le ciel était venu nous apporter un petit frère ou une petite sœur, un petit ange tout propre dont la naissance avait aucun rapport avec la naissance des petits veaux au printemps ou avec ces parties de notre corps qu'on gardait cachées absolûment. Selon l'expression de papa, on prenait les enfants que le bon Dieu nous donnait.

Mais des p’tits gars sont des p’tits gars. On jouait à tout, et même à la parade de nos appareils génitaux. Le pénis ou les testicules étaient inconnus tout comme le vagin ou les seins. Sans vergogne on utilisait les mots du terroir avec des petits rires en coin et des gênes vite passées. Puis sans plus, on passait à un autre jeu, sans avoir le besoin de se confesser. Une espèce d’état d’innocence compartimentée, le paradis avant le péché.

Mon initiation sexuelle, la vraie, la trouble, s’est faite après treize ans, lors des jours de retraite qu’on faisait au juvénat, par le prédicateur menaçant du haut de sa chaire.
Mais ça c’est une autre histoire.
(à suivre)
Florian

5 Commentaires:

Quidam duFleuve a ?crit...

Georges Langford aurait vécu quelque chose comme... L'autre bord de la dune... Havre-Aubert ou Havre-aux-Maisons. À ce que je me souvienne, c'était des "Soeurs"! Faut l'écouter chanter "La butte".

Langford des ïles-de-la-Madeleine. Poète oublié à la voix qui me dit plus qu'elle chante telle une vague qui porte plus qu'elle berce.

Disque 33 trs. "Arragez-vous pour qu'il fasse beau." Gamma - Stéréo - Gs 172 Produit par "Perron * Lafrance."

Florian Jutras a ?crit...

Je ne connais pas Georges Langford et sûremen lui ne me connaît pas non plus. Mai toi, Jacques tu connais les deux évidemment et en flagorneur invétéré tu m'honores de la comparaison. Un défi à ta mesure, inscrire cette chanson sur le blogue. Bonne chance et grande patientce.

Florian

Quidam duFleuve a ?crit...

J'ai connu Langford au tout début des années 70 en fréquantant les Ïles avec ma Madeleine! Quels chauds souvenirs rêvés à La-Pointe-aux-Loups...

Je n'ai pas trouvé de "façon Langford" sur le Net. Un défi: partir du 33 tours que j'ai en main... Ou être actif dans les échanges P2P.

Florian Jutras a ?crit...

S'il faut choisir entre le pain et le beurre, je préfère encore le Fleuve aux 33 tours.
Je suis quand même piqué , j'aimerais savoir ce qu'on a vu sur la Bute à Langford.Compétton avec St-Zéphyrin?
Florian

Jean Trudeau a ?crit...

J'ai comme un goût de mousse aux fraises de mon enfance à la suite de ce récit troublant. Ne pourrais-tu pas, Florian, nous en dévoiler la recette? L'authentique, naturellement!